Publié le 17 juin 2024Lecture 9 min
Actualité de la prise en charge de l’arthrite juvénile idiopathique
Adrien SUBERVIE, service de pédiatrie et CEREMAIA, Centre hospitalier André Mignot, Versailles
Récemment, de nouveaux médicaments immunosuppresseurs ont fait leur apparition : les inhibiteurs de Janus Kinase (JAK-i). Dès 2017, leur utilisation a été permise en rhumatologie. Depuis avril 2023, une forme galénique pédiatrique est disponible pour le tofacitinib, indiqué dans le traitement de l’arthrite juvénile idiopathique. L’occasion de faire un rappel et un point sur la prise en charge.
L’arthrite juvénile idiopathique (AJI)
Il s’agit d’une des plus fréquentes des maladies rares pédiatriques, dont la prévalence varie de 1/2 200 à 1/8 000 selon les continents(1). Celle-ci est définie par une arthrite débutant avant le 16e anniversaire, d’origine inexpliquée et évoluant depuis plus de 6 semaines.
Actuellement, les critères de classification de l’ILAR (International League of Associations for Rheu matology) catégorisent 7 types d’AJI avec des caractéristiques cliniques et biologiques propres(2) (tableau).
Critères d’exclusion :
a) présence de psoriasis ou antécédents de psoriasis chez le patient ou un apparenté au 1er degré ;
b) arthrite chez un garçon HLA-B27 positif débutant après le 6e anniversaire ;
c) Spondylarthrite ankylosante, enthésite en rapport avec l’arthrite, sacro-illite avec colopathie inflammatoire, syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter ou uvéite antérieure aiguë ou antécédents de l’une de ces pathologies chez un parent au 1er degré ;
d) présence de facteur rhumatoïde de type IgM à deux occasions à au moins 3 mois d’intervalle ;
e) AJI systémique.
On y retrouve des arthrites similaires à l’adulte comme l’AJI polyarticulaire à facteurs rhumatoïdes (FR) positifs (polyarthrite rhumatoïde), l’AJI en rapport avec les enthésopathies (spondylo-arthrite) ou encore l’AJI systémique (maladie de Still). Les formes les plus fréquentes et spécifiques de l’enfant sont les AJI oligo-articulaires et polyarticulaires sans FR. L’âge de début est sensiblement plus jeune que les précédentes et le risque d’atteinte extra-articulaire (ophtalmique) est élevé. En effet, une des caractéristiques spécifiques des AJI est le risque d’uvéite antérieure « froide », c’est-à-dire indolore et incolore avec baisse d’acuité visuelle tardive, pouvant être le signe de complications parfois irréversibles. Outre les complications articulaires et ophtalmiques liées à la maladie, l’inflammation chronique doit être considérée comme un facteur de risque cardiovasculaire à long terme.
L’évolution de ces arthrites peut être monocyclique, polycyclique, voire avec inflammation et extension constante.
Le traitement des AJI
La prise en charge se fait par un pédiatre et/ou un rhumatologue exerçant en centre de compétence ou de référence. La liste des centres est disponible sur le site de la filière des maladies auto-immunes et auto-inflammatoires rares (FAI²R, https://www.fai2r.org/filiere-fai2r/). Pour la plupart des patients, le traitement des poussées se fait par antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) et le traitement de fond par immunomodulateurs épargneurs d’anti-inflammatoires stéroïdiens, parmi lesquels on retrouve en chef de file le méthotrexate.
Lors de complications, de maladie active ou d’atteinte importante initiale, le recours aux biomédicaments injectables est possible, comme les anti-TNF alpha (étanercept, adalimumab, infliximab), anti-IL-6 (tocilizumab), anti-IL-1 (anakinra).
L’usage de la corticothérapie se limitera à un traitement local (infiltration), ou par voie générale sur une courte durée (poussée d’AJI systémique, par exemple) en cas d’efficacité partielle des traitements précédents.
Le traitement par kinésithérapie est indispensable pour récupérer les limitations d’amplitudes articulaires après les poussées et pour une réadaptation cardio-respiratoire une fois la maladie en rémission.
Une prise en charge de la douleur par une équipe spécifique peut être indiquée, ainsi qu’un soutien psychologique.
Le suivi initial est très rapproché (tous les 3 mois) notamment sur le plan ophtalmologique (lampe à fente, fond d’œil), à la recherche d’une inflammation de la chambre antérieure. Selon l’évolution, on pourra espacer les visites de 6 à 12 mois.
Avant l’arrivée des biomédicaments, une nouvelle poussée, voire une maladie non contrôlée sous médicaments n’était pas rare (en fonction du type d’AJI, les formes polyarticulaires et associées aux enthésopathies étant les plus difficiles à mettre en rémission sans traitement).
En pratique, on observe un effet bénéfique des biomédicaments sur le risque de nouvelle poussée et/ou d’inflammation persistante.
Cependant, pour un faible nombre de patients, de nouvelles poussées apparaissent sous traitement, voire l’inflammation n’est pas contrôlée après essai de plusieurs biomédicaments. La rémission se fait alors au prix de l’utilisation d’une corticothérapie et de ses effets secondaires sur la croissance, la tension artérielle, l’hyperglycémie, etc.
Les effets indésirables et le rôle du médecin traitant
Les traitements anti-inflammatoires sont efficaces mais ne sont pas dénués d’effets secondaires, notamment sur l’immunité.
La mise en route de biomédicaments impose une recherche d’infection en cours, en particulier la tuberculose, ainsi que la mise à jour et l’extension du calendrier vaccinal avant mise en route (rappels plus rapprochés pour la vaccination anti-pneumococcique par exemple)(3).
L’apparition de signes infectieux et/ou de fièvre chez un patient sous immunosuppresseurs impose un examen clinique rapide : c’est souvent dans ce cas qu’intervient le médecin traitant. Des examens complémentaires sont plus souvent indiqués pour ces patients et une pause du traitement immunosuppresseur peut être décidée, en accord avec le médecin rhumatologue référent.
La tolérance biologique peut aussi être délicate pour certains patients (leucopénie, anémie, cytolyse hépatique le plus souvent). Le praticien peut, là aussi, faire le lien avec l’équipe du centre de compétence/référence pour l’adaptation du traitement.
Enfin, le suivi de la croissance et la médecine préventive de l’enfant puis de l’adolescent doivent être assurés comme pour tous les patients, avec une attention particulière aux facteurs de risque cardiovasculaires comme la sédentarité, l’obésité, la consommation de tabac, ou encore l’adaptation de l’utilisation de la pilule contraceptive (obligatoire si patiente en âge de procréer traitée par méthotrexate).
L’arrivée des JAK-i
Le développement des inhibiteurs de Janus Kinase (JAK) fait suite à la découverte et la compréhension de l’implication de la voie de l’interféron dans les maladies auto-inflammatoires (maladie auto-inflammatoires monogéniques, lupus, connectivites, par exemple). Les interférons sont des cytokines produites en majorité par des cellules immunitaires lors de la détection d’ADN et d’ARN d’origine microbienne, notamment virale. Le nom d’interféron vient de la capacité de la cytokine à interférer avec l’infection grippale en laboratoire lors de l’identification de celle-ci.
Outre leurs capacités antivirales, les interférons ont une action antitumorale et antifongique.
Une fois sécrété, l’interféron a un pouvoir autocrine en se fixant sur les cellules immunitaires via un récepteur transmembranaire, couplé à JAK, qui active un promoteur de gène de l’interféron. Les gènes stimulés par l’interféron permettent la défense antivirale (figure).
Figure. Action paracrine de l’interféron : réponse des cellules immunitaires à la stimulation par l’interféron (IFN). Une fois fixé sur son récepteur, l’interféron entraîne l’activation de JAK, puis dimérisation de STAT1 et STAT2. Leur association avec IRF9 permet l’activation du promoteur de gène ISRE9, qui entraîne la transcription de gènes induits par l’interféron. L’action des JAK-i bloque la phosphorylation de STAT1 et STAT2, et donc l’inflammation induite par l’interféron.
Par la suite, il a été découvert 3 types de JAK, couplés à des récepteurs transmembranaires pour diverses cytokines pro-inflammatoires. Il apparaît donc intéressant de cibler et inactiver les JAK pour obtenir un effet immunosuppresseur.
Plusieurs molécules JAK-i ont été développées, certaines sont sélectives d’un type de JAK, d’autres non sélectives, comme le tofacitinib.
La place des JAK-i dans l’AJI
Les inhibiteurs de JAK ont initialement eu l’AMM en 2017 pour le traitement de l’arthrite rhumatoïde et la spondyloarthrite, seul ou en association avec un immunomodulateur. Il a été observé un effet bénéfique sur l’inflammation biologique et articulaire, ainsi que sur les arthralgies.
En novembre 2021, la Paediatric Rheumatology International Trail Organisation a publié une étude internationale multicentrique testant le tofacitinib contre placebo sur 225 patients (dont 65 % étaient traités avec du méthotrexate). Il a été observé un effet significatif du tofacitinib sur le nombre de patients ayant une poussée articulaire à la fin de l’essai (facteur protecteur à 0,46 ; IC 95 % : 0,27-0,79 ; p = 0,0031). Il n’a pas été démontré d’augmentation significative des effets indésirables, notamment infectieux, sur les 44 semaines de l’essai(4).
C’est pourquoi la Haute Autorité de santé (HAS) a émis en avril 2022 un avis favorable pour l’utilisation du tofacitinib dans l’AJI (polyarticulaire avec ou sans FR, oligoarticulaire et psoriasique) en cas d’échec d’au moins un immunomodulateur et une biothérapie. En l’absence d’autres études de sécurité à long terme pédiatrique, le tofacitinib peut être utilisé en cas de maladie réfractaire aux traitements de seconde et troisième ligne, en association à une biothérapie ou à un immunomodulateur.
Effets secondaires, encore
Certes les JAK-i représentent une nouvelle arme thérapeutique, mais ils ne sont pas dénués d’effets secondaires.
Les études de sécurité à moyen et long termes récentes ne concernent cependant que les patients adultes.
La tolérance des JAK-i a été comparée à celle du méthotrexate. Les études ont mis en évidence une augmentation du nombre de céphalées, diarrhées, nausées et des cas d’hypertension artérielle. Les effets secondaires préoccupants sont de trois types :
- infectieux : en 2020, une métaanalyse(5) sur les essais randomisés de phase 3 (tofacitinib, baricitinib et udapacitinib) constatait une augmentation globale des infections, notamment à VZV (RR 2,57). Récemment, un essai randomisé postcommercialisation tofacitinib vs inhibiteurs de TNF (ORAL Surveillance)(6)* a confirmé ce risque d’infection. Les infections graves survenaient en début de traitement (< 6 mois) et après 18 mois, et semblaient être dose-dépendant. Un âge élevé (> 65 ans) et/ou un facteur de risque cardiovasculaire supplémentaire augmentaient ce risque. Le nombre d’infections à VZV (virus varicelle zona) était élevé et n’était pas influencé par les facteurs cités précédemment ;
- cardiovasculaire : une dyslipidémie est peu fréquente mais le risque d’accident cardiovasculaire majeur (AVC, infarctus du myocarde) est augmenté avec un RR allant de 1,48(7) à 1,98(8) selon les études. Un antécédent d’événement cardiovasculaire, un tabagisme, une dyslipidémie et un âge > 65 ans sont des facteurs de surrisque. En revanche, le risque thrombo-embolique est encore débattu ;
- néoplasie : les premières études ont démontré une augmentation des cancers, notamment du poumon, lymphomes et carcinomes épidermoïdes(9,7). L’étude ORAL Surveillance a conclu que le risque est globalement augmenté vs TNF-i mais ne permet pas de préciser le type de néoplasie(10). Il semblerait aussi selon cette étude que les différences se lissent dans le temps, avec des risques comparables (encore une fois chez l’adulte) après 18 mois de traitement.
En extrapolant ces données, on peut surtout retenir le risque infectieux, notamment pour les enfants n’ayant pas d’antécédent de varicelle. Notre bon sens clinique nous fera alors vacciner ces patients avant traitement, bien qu’aucune recommandation ne soit encore parue à ce jour (le PNDS d’AJI est en cours de réécriture, ainsi que les recommandations de vaccination pour les patients immunodéprimés par le HCSP – les JAK-i y seront inclus).
En plus de la vaccination, un bilan préthérapeutique et un suivi clinicobiologique plus rapprochés et exhaustifs (infectieux, métabolique, endocrinien) par rapport aux biomédicaments sont assurés par les centres de compétences et références. Concernant les risques néoplasique et cardiovasculaire, des études pédiatriques seront nécessaires, les facteurs de confusion étant nombreux (âge, consommation de tabac, antécédents cardiovasculaires, etc.). Cependant, en cas de traitement long et notamment chez les adolescents, il faudra veiller à la prévention des risques cardiovasculaires (sédentarité, tabac).
* Études n’incluant que des pa tients > 50 ans avec au moins un facteur de risque cardiovasculaire.
Pour en savoir plus :
• FAI2R : https://www.fai2r.org/les-centresfai2r/centres-de-competences-pediatriquesfai2r
• PNDS AJI : https://www.has-sante.fr/jcms/c_2801939/fr/arthrites-juvenilesidiopathiques
• Avis de la HAS pour le tofacitinib : https://www.has-sante.fr/jcms/p_3337941/fr/xeljanz-tofacitinib-arthritejuvenile-idiopathique-polyarticulaire
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